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J’ai tant appris de vous

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Raôul Duguay : Site officiel | Galerie d'Art Carte Blanche


Notice biographique

La vie et l’œuvre de Frère Jérôme entretiennent des liens très intimes avec sa quête d’absolu et sa recherche de spiritualité. Cet homme souvent visité par la grâce toujours habité par la passion, est à la fin de sa vie, revisité par les fantômes qu’il s’amuse à faire surgir de son passé. Sa carrière professionnelle occupe deux créneaux précis : L’enseignement des arts plastiques et la réalisation d’un œuvre pictural extrêmement imposant.

Frère Jérôme a traversé le vingtième siècle : Né en 1902 à Charlesbourg, il meurt à Laval en 1994 après avoir bien pris soin d’inscrire à son agenda du 30 avril : « aujourd’hui ne me dérangez pas, je suis occupé à mourir. » Visionnaire comme l’étaient les signataires du manifeste Refus Global et certains autres créateurs téméraires, Jérôme a vécu parfois dans la sérénité, parfois dans l’adversité, les nombreux changements sociaux et culturels des années 1940 à 1960. Deux ans d’étude à l’École des Beaux-Arts de Montréal suffiront à l’éloigner définitivement de l’académisme gauchissant alors enseigné pour adhérer sans réserve au mouvement automatiste et par la suite créer grand nombre des autres mouvements qui sont encore d’inspiration constante. Il a donc vécu les époques de la grande noirceur et de la révolution tranquille et assisté aux adieux de «  la tuque et du goupillon. »

Membre de la Communauté des Frères de Sainte-Croix dès l’âge de douze ans, non seulement il restera fidèle à ses engagements jusqu’à sa mort, mais il pratiquera sa vie de religieux avec une intensité remarquable et exemplaire. En aucun moment, il ne mettra en cause l’existence de Dieu, s’éloignant en cela de la théorie des automatistes. Toutefois, ses nombreux questionnements sur le vrai visage de Dieu hanteront sa production et le conduiront à l’abstraction puisque Dieu lui-même est une abstraction et qu’il appartient à chacun de lui trouver un visage.

Avec soixante-dix ans de pratique professionnelle, Frère Jérôme jouit d’une grande attention médiatique. Les médias écrits et électroniques lui ont consacré de très favorables critiques. Il a participé à de nombreux colloques, documents vidéo et rédigé un nombre incalculable d’articles portant sur l’enseignement et les mouvements d’avant-garde. En 1967, il présenta un mémoire à la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec, au Ministère de l’Éducation du Québec. Ses œuvres ont été vues dans plus d’une centaine d’expositions solos et de groupes au Québec, aux Etats-Unis, en Europe et certaines font partie de prestigieuses collections.

Thérèse Bélanger
Études québécoises, Université Laval


Brève analyse de l’exposition thématique J’ai tant appris de vous.
Galerie d’art Carte Blanche – 29 avril au 13 mai 2014

J’ai tant appris de vous illustre le potentiel d’audace et de marginalité qui habitait Frère Jérôme dont les œuvres du présent corpus à la Galerie Carte Blanche sont d’inestimables témoins. Ces œuvres entretiennent des liens entre elles. Elles se nourrissent les unes des autres dans le reflet des divers mouvements picturaux ambiants. Certaines très matiérées des années 1959-1965 Sans titre, 1962, rejoignent la sensibilité de Fernand Toupin et de Marcelle Ferron. alors que Montréal, 1969, porte plus loin l’esthétique de l’oblique défendue par Rita Letendre et le hard-edge aux effets cinétiques de Claude Tousignant.

1962
Sans titre, 1962 Montréal, 1969

Ainsi, la création de Frère Jérôme ne connaissait pas de frontières. Elle émanait de la nécessité d’entremêler le formel Sans titre, 1967 et l’informel Flagellation, 1982. De cette puissance lumineuse qui permet de confondre le jour et la nuit naissent des espaces que partage le silence du blanc et du noir; des espaces de dimension cosmique Étoile dans l’immensité du cosmos, 1988. Puis la réponse à ces espaces se traduit par une phrase de Frère Jérôme « ma vie tel un pas dans la neige ». Cette réponse trouve de nombreuses illustrations dans une série d’œuvres graphiques d’inspiration orientale, à la gestualité libre et généreuse réalisées fin des décennies 1970 et 1980. La tache dans l'espace, 1977, porte l’idée du mouvement ascendant rejoignant ainsi la pensée de Vassily Kandinsky à laquelle Frère Jérôme adhérait vigoureusement : Le spirituel est dans l’art et l’art est dans le spirituel. C’est dans cette même mouvance du spirituel privilégiant l’élévation et la chute que l’œuvre Toi et Moi, 1982 est construite. Le caractère calligraphique et la configuration rythmée de cette œuvre confirment le souci de Frère Jérôme pour la forme-signe. Sans titre, 1980 suppose une économie de plans aux contours flous s’approchant des propositions de Franz Kline dont Frère Jérôme connaissait la démarche artistique ouverte sur les balbutiements de l’expressionnisme abstrait.

Sans titre, 1967

Flagellation, 1982

1988

Étoile dans l’immensité du cosmos, 1988

La tache dans l'espace, 1977

1982

Toi et Moi, 1982

Sans titre, 1980

Il y a aussi dans l’exploration picturale de Frère Jérôme une recherche de l’accident comme savait le faire Jackson Pollock et à sa suite Jean-Paul Riopelle. À l’atelier de Frère Jérôme ces accidents picturaux sont provoqués par des manœuvres de dégoulinures, de grattages de la surface ou de concentrations de la matière en des formes très opaques sur des surfaces immaculées. Pyzzcatri entrecoupée, 1980, Frère Jérôme laissait «le tableau venir à soi». Il possédait son métier de peintre au point de reconnaître les limites magiques de chaque tableau autant que les moments de rupture de la perfection dans l’oeuvre.

1980
Pyzzcatri entrecoupée, 1980

Après cette recherche de l’accident ou dominent le noir et le blanc dans un entrelacement de taches amenuisées en filets La tache en mouvement, 1982 Frère Jérôme délaisse cet accident par le geste et part à l’exploration de la tache pour l’euphorie de la forme et de la couleur. Il réalise un impressionnant corpus d’œuvres sous la thématique du jardin dont le mouvement d’ensemble très voluptueux confirme que l’homme et le peintre sont à l’aube « des jours heureux ». Les formes nouées comme des gerbes Aspiration,1985 flottent dans l’espace au gré des taches, des couleurs, des textures dans une sorte de confusion picturale où les variantes visuelles laissent toute la place à l’imaginaire du spectateur.

À la faveur de ses soixante dix ans de pratique picturale Frère Jérôme a joué un rôle de passeur : passeur de la beauté, passeur de la témérité, passeur de la compassion, passeur de l’humour, passeur de l’anecdote. Ce rôle de passeur est abondamment illustré dans une immense galerie de personnages dont les héros sont nés au début des années cinquante. Sans titre, 1959 En examinant bien ce corpus on a l'impression de feuilleter un album de famille. Chaque tableau raconte une histoire vécue, politique, imaginaire, tragique, poétique. Piquet de grève,1989, Nous y voilà, 1989, Dans une sorte de suspens fantomatique mais dans l’équilibre de la forme, Frère Jérôme met en scène une faune humaine habitée par l’angoisse et le mal de vivre. Les protagonistes de ce théâtre sont courbés, enfermés dans des vêtements couleur d’abandon et de mélancolie. Ils marchent sur une surface incertaine, enfoncés dans une terre sans cesse remuée dont leurs sabots ont du mal à s’extraire, Sans titre, 1991. Frère Jérôme en a fait des figures de soumission et d’isolement en les priant de raconter leurs histoires au monde entier afin qu’un jour les hommes et les femmes vivent dans la lumière, délivrés de toute tristesse agrippée aux pieds.

1985
La tache en mouvement, 1982 Aspiration,1985 Sans titre, 1959 Piquet de grève,1989
1989
Nous y voilà, 1989 Sans titre, 1991

Frère Jérôme a tant appris des êtres et des événements qui l’entouraient qu’il en a taillé sa propre vie tant dans les étoffes du rêve que dans celles de la réalité de son siècle. Son œuvre est inspirant, atypique, multiforme, puissant, hors des sentiers traditionnels, D’autres sont venus. Ils étaient dix mille. Ils ont tant appris de lui : la liberté de penser, la force de résister au cercle des acquis, l’audace de créer dans la marge, le pouvoir de prendre la mesure de l’interdit, le courage d’être constamment en phase avec la vie.

Thérèse Bélanger

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